L’épidémie de COVID-19, cas de force majeure en droit public justifie-t-elle la suspension ou la résolution d’un contrat de droit privé ?

Le 28 février, le Ministre de l’Economie annonçait que l’épidémie de COVID-19 devait être considérée comme « un cas de force majeure pour les entreprises, salariés et employeurs » pour les contrats de marchés publics passés avec l’État permettant de les suspendre ou y mettre fin.

Dans cette lignée, la Cour d’appel de Colmar a déjà reconnu la force majeure sur ce fondement dans le cadre d’une rétention administrative (CA Colmar, 6e ch., 12 mars 2020, n° 20/01098) et l’Ordonnance n°2020-326 du 25 mars 2020 permet, « du fait de la situation actuelle constituant la force majeure », de ne pas mettre en jeu la responsabilité pécuniaire des comptables publics.

Cette position affirmée en droit public est-elle transposable aux contrats conclus entre personnes privées ?

On mettra ici de côté les contrats prévoyant expressément, par dérogation, qu’une partie doit exécuter ses engagements malgré un cas de force majeure (art 1351 du Code civil).

Aux termes de l’article 1218 du Code civil, la force majeure est caractérisée lorsqu’un événement empêche l’exécution des obligations alors qu’il remplit 3 conditions cumulatives :

• il échappe au contrôle des parties (l’extériorité)
• il ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat (l’imprévisibilité)
• ses effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées (l’irrésistibilité)

Si, s’agissant du COVID-19, l’extériorité semble acquise, l’imprévisibilité et l’irrésistibilité doivent être étudiées au cas par cas dès lors que l’épidémie de COVID-19 n’est pas devenue imprévisible soudainement pour les personnes privées françaises.

En effet, la situation chinoise était connue depuis décembre 2019 et l’OMS a donné l’alerte dès le 30 janvier 2020 même si l’Etat français a déclaré l’état d’urgence le 24 mars 2020.

Tout dépend alors, pour chacun des contrats concernés, notamment de ses conditions de conclusion (la date de signature, mais également le début des pourparlers), du type d’obligations souscrites, de la prévisibilité de l’impact de l’épidémie sur leur réalisation, de la réactivité et des mesures prises par les parties pour adapter l’exécution de chacune des obligations.

En outre, si l’inexécution due à la force majeure empêchera toute pénalité en vertu de l’article 1231-1 du Code civil, la force majeure ne permettra la résolution d’un contrat que si l’empêchement a engendré un retard trop important, voire définitif (la résolution est dans ce dernier cas de plein droit).

L’épidémie de COVID-19 ne peut donc nullement être considérée par principe comme un cas de force majeure s’agissant des contrats conclus entre personnes privées ; il s’agira d’étudier la situation au cas par cas pour lui appliquer ou non les effets de la force majeure, avec les oppositions qui risqueront de s’élever.

En revanche, les conditions de ces contrats, devenues déséquilibrées à raison de l’épidémie de COVID-19 et ses conséquences, pourraient être renégociées en application de la théorie de l’imprévision codifiée depuis fin 2016 à l’article 1195 du Code civil s’il est caractérisé :

• un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat
• qui rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque.

La partie victime de ce changement peut demander à son cocontractant une renégociation du contrat (avec poursuite de son exécution pendant les négociations), lequel est libre d’accéder ou non à cette demande.

En cas d’acceptation, la renégociation devra être effectuée de bonne foi (art 1104 du Code civil).

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent solliciter du juge qu’il adapte le contrat aux circonstances (sur demande conjointe ou unilatérale), voire qu’il mette fin au contrat (sur demande unilatérale), prenant alors le risque de subir l’intervention d‘un tiers dans l’équilibre de leurs accords.

Une renégociation amiable est donc vivement conseillée pour permettre aux parties d’adapter leurs obligations afin de conserver ensemble la maîtrise de leur équilibre en l’état des circonstances particulières générées par l’épidémie de COVID-19.

En cette période de confinement, les relations de travail connaissent des situations exceptionnelles : altercations, violence sur le lieu de travail, refus de travailler, inexécution contractuelle pendant le télétravail…

L’employeur peut-il licencier actuellement ?

Le 16 mars 2020, Madame le Ministre du Travail a indiqué que « L’objectif est de ne pas licencier », mais n’a pas interdit pour autant la mise en œuvre d’une procédure de licenciement.

A priori, n’étaient visés que les licenciements pour motifs économiques particulièrement ceux de complaisance.

La mise en œuvre d’un licenciement semble donc possible pendant cette période de crise sanitaire.

Néanmoins, on peut espérer que les Conseils de prud’hommes feront preuve de bienveillance vis-à-vis des salariés et ne sanctionneront que les comportements fautifs d’une particulière gravité.

Notamment, certains comportements violents sur le lieu de travail ne bénéficieront d’aucune impunité.

Une baisse de la performance depuis la mise en confinement ne pourra probablement pas faire l’objet d’un licenciement sans que les tribunaux ne considèrent que cette baisse soit liée à la période toute particulière que rencontre notre pays.

Une baisse très sérieuse d’activité du salarié en télétravail devra ainsi préalablement faire l’objet de plusieurs mises en garde avant d’envisager la rupture du contrat de travail du salarié.

L’employeur devra probablement redoubler de prudence dans l’administration de la preuve des griefs faits aux salariés et dans la mise en œuvre de la procédure de licenciement.

La convocation à un entretien préalable de licenciement doit être effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre récépissé en application de l’article L.1232-2 du code du travail.

Toutefois, ces formalités ne sont pas prescrites à peine de nullité mais permettent d’éviter toute contestation sur la date de présentation du courrier. Il est, à cette occasion, fondamental de respecter le délai de 5 jours ouvrables prévu par l’article 1232-2 du code du travail.

La convocation à l’entretien préalable peut donc, sous réserve de ce qui est indiqué ci-dessus, être également adressée au salarié par Chronopost ou être signifiée au salarié par Huissier de Justice.

En revanche, une simple convocation orale ou par télécopie rendrait la procédure irrégulière.

Depuis le 1er janvier 2019, l’employeur devrait pouvoir aussi utiliser la lettre recommandée électronique. Toutefois, d’une part aucune décision de justice n’a encore validé un tel procédé et, d’autre part, selon les sites auxquels nous avons eu accès, le salarié peut refuser ce mode de notification. L’employeur pourrait donc ne pas être en mesure d’administrer la preuve ni de la délivrance, ni de la réception de la lettre de convocation.

Dois-je reporter l’entretien préalable compte tenu de la période de confinement ?

Théoriquement, l’entretien préalable à un licenciement est une formalité édictée dans le seul intérêt du salarié. Son absence ou son refus de s’y présenter ne rend pas la procédure irrégulière.

Par ailleurs, le report de l’entretien préalable a des conséquences différentes selon qu’il est fait à la demande du salarié ou de l’employeur.

Le report de l’entretien préalable à l’initiative de l’employeur est dangereux.

D’une part, un nouveau délai de 5 jours ouvrables entre la seconde convocation et l’entretien préalable devra être respecté, d’autre part, la seconde convocation, en matière disciplinaire, doit intervenir dans le délai de deux mois de la connaissance des faits et, enfin, le délai d’un mois qui doit être respecté pour sanctionner le salarié, en application de l’article L 1332-2 du Code du travail, court à compter de la date de première présentation de la première lettre de convocation. (Cass. soc. 17.04.19, n° 17-31.228). Une telle initiative est donc à proscrire.

Le salarié peut cependant être amené à solliciter le report de l’entretien préalable au motif par exemple qu’il ne souhaite pas se déplacer.

Une appréciation au cas par cas devra être effectuée en prenant en compte la situation du salarié, la gravité des fautes reprochées, le motif invoqué, la présence ou non de représentants du personnel dans l’entreprise et la possibilité d’avoir recours à un conseiller du salarié.

S’agissant d’un licenciement pour des griefs constituant une simple cause réelle et sérieuse, l’employeur ne prend pas de risque à reporter l’entretien sur la base d’une demande du salarié formulée par écrit. En effet, le délai de 5 jours ouvrables commencera à courir à compter de la présentation de la première convocation (Cass. soc. 24 novembre 2010, n° 09-66.616) et le délai d’un mois à compter du second entretien.

L’employeur devra néanmoins, supporter la rémunération du salarié plus longtemps et aviser le salarié, en temps utile et par tous moyens, des nouvelles date et heure de l’entretien (Cass. soc. 29 janvier 2014, n° 12-19872).

S’agissant de faits susceptibles de caractériser une faute grave, l’employeur doit agir dans l’urgence, le salarié est fréquemment mis à pied à titre conservatoire et la faute grave empêche par nature le maintien du salarié au sein de l’entreprise.

Même si l’Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période, devrait protéger l’employeur d’une irrégularité de procédure, il faut éviter un report de l’entretien.

Il est en revanche recommandé de convoquer le salarié bien au-delà du délai minimum de 5 ouvrables afin de le laisser s’organiser et lui permettre de trouver un conseiller ou collègue susceptible de l’assister lors de l’entretien.

Comment tenir l’entretien ?

Habituellement l’entretien préalable a lieu là où s’exécute le travail ou le siège social de l’entreprise avec la présence physique du salarié et de son conseiller.

En présence d’un motif légitime, ce qui ne devrait pas poser de difficulté en l’espèce, l’entretien préalable peut avoir lieu en un autre lieu.

Se rendre à une convocation pour un entretien préalable constitue a priori l’un des motifs de déplacements entre le domicile et le lieu d’exercice de l’activité professionnelle prévu par le décret du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19.

Attention, l’entretien ne peut cependant être remplacé par un échange de correspondances ou par un entretien téléphonique (Cass. soc. 14 novembre 1991, n° 90-44195 D).

Un entretien en visioconférence ?

Les décisions sont peu nombreuses.

Dans un arrêt du 11 mai 2016, mais dans un contexte différent, la Cour d’Appel de RENNES a considéré que « L’employeur qui, tenu par ses propres nécessités d’organisation, a accepté de mener l’entretien préalable par visioconférence, ne peut se voir reprocher d’avoir, de façon fautive, négligé les contraintes du salarié ». (Cour d’appel de Rennes, 11 mai 2016, n° 14/08483)

Dans une espèce où l’entretien préalable d’un représentant du personnel (procédure soumise à une procédure d’autorisation) avait été tenu par visioconférence alors que le salarié était présent dans l’entreprise mais le chef d’entreprise absent en raison des intempéries, la Cour administrative d’Appel de Bordeaux a indiqué en 2017 : « Si la société fait valoir que l’absence de M. Moraine lors de l’entretien préalable a pour cause des intempéries, elle ne justifie pas de circonstances de force majeure qui aurait empêché M. Moraine de se déplacer dans les locaux de l’entreprise, le 31 janvier 2012, jour où s’est tenu l’entretien préalable au licenciement », laissant présumer que l’existence d’un cas de force majeur légitimerait le recours à la visio-conférence. (CAA Bordeaux – 18 décembre 2017 n°16BX00818)

Plus récemment, la Cour d’Appel de BOURGES, a jugé que « S’il est exact qu’aucune disposition légale ou réglementaire ne fait obligation à l’employeur d’informer le salarié de la tenue de l’entretien préalable en visio-conférence et que l’association X justifie par une attestation de sa directrice des ressources humaines que le système de visio-conférence utilisé par ses soins ne donne pas lieu à enregistrement, il n’en demeure pas moins qu’en l’absence de plus amples précisions sur le dispositif technique utilisé, force est de constater que ce dernier ne permet pas de s’assurer que seule Mme D était présente à distance pour l’entretien préalable de Mme Y ». (CA Bourges, Chambre sociale, 15 novembre 2019, n° 18/00201)

La Cour d’Appel fonde sa décision sur la crainte que l’entretien préalable ait permis à l’employeur d’être assisté de plusieurs personnes transformant ainsi l’entretien en véritable enquête (Cass. soc. 11 février 2009, n° 07-43056 D).

En suivant les enseignements de ces arrêts, l’employeur pourrait, compte tenu de la pandémie actuelle, avoir recours à un système de visioconférence sous réserve :

Que ce procédé ne soit pas imposé au salarié mais qu’il demeure une faculté,
Que le salarié donne préalablement son accord express et non équivoque et par écrit,
Que le système de visioconférence ne procède à aucun enregistrement,
Que l’employeur paramètre le système pour que le conseiller du salarié puisse également assister également à l’entretien,
Que le salarié se réserve la preuve de ce que personne d’autre lui n’assiste à l’entretien.

Ce n’est que sous réserve de respecter l’ensemble de ces points que les tribunaux pourront faire preuve de compréhension.

Comment procéder à la notification du licenciement ?

En application de l’article L1232-6 du Code du Travail, lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception.

Même si la notification par lettre recommandée avec accusé de réception n’est pas prescrite à peine de nullité, elle permet d’une part, de s’assurer de la réception par le salarié de sa lettre de licenciement et, d’autre part, de conclure valablement une transaction après la notification.

Pour mémoire, dans un arrêt de 2018, la Cour de Cassation a constaté que « la transaction avait été conclue en l’absence de notification préalable du licenciement par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, ce dont il résultait qu’elle était nulle » (Cass. Soc. 10 oct. 2018, n° 17-10.066).

Il est déconseillé d’avoir recours à la lettre recommandée électronique avec accusé de réception qui ne permet de délivrer qu’une copie électronique de la lettre de licenciement et qui ne permet pas de garantir la réception par le salarié.

Il convient, à défaut de bureau de poste disponible, d’avoir recours à un Huissier de Justice pour la notification de la lettre de licenciement.

Même si une appréciation stricte de l’arrêt de la cour de Cassation d’octobre 2018 laisse à penser qu’une transaction ne serait pas possible après une notification de la lettre de licenciement par Huissier de Justice, un accord pourrait, selon nous, toujours être envisagé devant le bureau de conciliation et d’orientation du Conseil de Prud’hommes le moment venu.